Le dimanche des rameaux
"Cette homélie provient du site: lhomeliedudimanche.fr"
Les multiples interprétations symboliques du dimanche des rameaux
Homélie du Dimanche des Rameaux
13/04/2014
Dans bien des régions de France, ce dimanche des rameaux est le plus fréquenté de toute l'année, davantage que Pâques, davantage encore que Noël. À tel point qu'on est obligé de rajouter des offices, et de laisser à la porte des églises ouvertes ensuite des brassées de buis béni pour les retardataires, les timides, ou les oublieux qui veulent quand même renouveler leur rameaux secs et jaunis accroché à leurs crucifix.
1. Un signe sensible
C'est là tout particulièrement le génie du catholicisme : savoir parler à tous dans un langage simple, accessible, charnel. Et quoi de plus concret que le langage des signes sensibles, comme un rameau béni rapporté à la maison ? Point n'est besoin d'être docteur en théologie, ni même grand pratiquant, pour saisir d'instinct ce que cette branche d'arbuste signifie. Pas même besoin de mots : la tradition orale a suffisamment imprégné pendant des siècles cet objet et les gestes qui l’accompagnent pour que l'enfant, le SDF ou la vieille femme qui viendraient le ramasser furtivement - comme à la dérobée - après la messe sachent qu'il y a là une question de vie et de mort.
Pas de catholicisme sans des gestes et des objets aussi populaires que les rameaux, aussi simples que ces feuilles de buis béni, aussi accessible que ces branches coupées pour que la vie ne le soit pas.
2. Une espérance invincible
Que fait-on de ces rameaux en effet ? On les glisse entre les bras du crucifix sur la croix familiale, on les coince entre le crucifix et le mur pour qu'ils dépassent fièrement en hauteur, on s'arrange pour que leur vert absolu tranche sur le gris ou l’or de la croix si triste...
À lui seul, un rameau béni témoigne que l'arbre de la croix portera du fruit, quoi qu'il arrive.
À lui seul, un bout de branchages de buis proclame la résurrection promise à chacun.
À elle seule, une palme fièrement dressée au-dessus de la tête du crucifié annonce à la fois la consolation, la transfiguration, l'oasis à travers la mort.
D'ailleurs, quand l'un des nôtres nous a quitté, naviguant on ne sait comment vers une autre rive on ne sait où, il est de coutume d'aller décrocher ce rameau ramené comme un butin du dimanche avant Pâques. On dispose une table en face du corps du défunt, avec une soucoupe d'eau et le rameau à côté. Les visiteurs qui viennent se recueillir devant l'enveloppe charnelle peuvent alors la bénir avec cet humble feuillage. En traçant cet itinéraire cruciforme perlé de gouttes d'eau sur le corps, ils rendent hommage à ce que le défunt a été pour eux, ils rappellent à Dieu - sans le savoir - sa promesse de ne pas laisser ses amis aussi éloignés de lui que la mort peut le faire.
Il n'est donc une nulle épreuve que l'espérance pascale ne puisse illuminer : les rameaux témoignent de cette espérance invincible, avec simplicité.
3. Entre vert et sec : le rappel à l’éphémère
Pourtant ces rameaux se flétrissent. Du vert resplendissant de la semaine sainte, il passe en quelques mois au jaune sec et cassant des feuilles abandonnées.
Ainsi nos espoirs humains touchent vite leurs limites.
Ainsi nos projets se dessèchent tôt ou tard.
Ainsi nos réalisations les plus belles deviennent rabougries et prêtes à tomber en poussière avec les années, à l'échelle du temps de l'univers...
Ce n'est que sagesse d'enlever alors ces tiges desséchées de nos crucifix pour aller les brûler en début de carême. On dit que les cendres du premier mercredi de carême sont faites avec celle des rameaux brûlés, réduits en poudre, et étalés sur le front des fidèles pour leur rappeler que tout passe...
Nous sommes dans des réalités avant-dernières : rien ici-bas ne peut être absolutisé au point de ne pas devoir vieillir et tomber en poussière. Ce n'est que dans la réalité dernière - celle du monde à venir après la mort - que les rameaux ne jauniront pas. D'ici là, le nécessaire renouvellement annuel de nos rameaux nous oblige à ne pas croire éternel nos espoirs ou nos réussites.
Entre arbre vert et arbre sec, ces branches qui ne durent qu'une année accrochées à nos murs nous ramènent à l'éphémère humain, nous convertissent à l'éternité seulement divine.
4. La fête des tentes ou la vraie présence de Dieu
Le pasteur de l’Église réformée de Versailles rappelait ainsi en 2004 le lien ente les rameaux et la fête des tentes :
"David ordonna autrefois que sa propre mule serve de monture à son fils Salomon et qu’on le fasse descendre à Guihôn pour qu’il y reçoive l’onction d’huile le consacrant ainsi roi d’Israël.
Ainsi, cette entrée de Jésus à Jérusalem, juché sur un ânon, ne rappelle pas seulement la prophétie messianique de Zacharie, mais aussi l’intronisation du roi Salomon.
« Mais Salomon allait à Guihôn », me direz-vous, « pas à Jérusalem ! ».
« Justement ! », vous répondrais-je, « on a là une coïncidence extraordinaire ! ».
Guihôn (qui veut dire “la jaillissante” en hébreu) était une des deux sources qui alimentaient la ville de Jérusalem. Elle se situait à l’extérieur de la ville, ce qui n’était pas pratique, et parfois même dangereux, pour les habitants de Jérusalem. Après divers aménagements, c’est finalement le roi Ezéchias qui, dans les années 700 av. JC, fit creuser un canal souterrain reliant Guihôn à un bassin situé à l’intérieur des remparts : la fameuse piscine de Siloé. À l’époque de Jésus, pendant la fête des Tentes, la plus grande et la plus sainte des fêtes juives (du moins jusqu’à la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70), les prêtres allaient tous les jours puiser de l’eau à cette piscine de Siloé, et ils l’emportaient en procession jusqu’au Temple pour nettoyer l’autel des holocaustes, où l’on faisait de nombreux sacrifices pendant les sept jours que durait cette fête. Cette procession se faisait sous les cris de la foule brandissant des palmes et des rameaux de verdure. Nous y voilà !
Cette procession de l’eau purificatrice, fournie par la source de Guihôn, ressemble étrangement à cette procession qui accompagne Jésus à l’entrée de Jérusalem, où il va purifier la maison de son Père en chassant les marchands du Temple. Par ailleurs, nous avons entendu tout à l’heure un extrait du psaume 118, celui qui était vraisemblablement chanté (ou plutôt "psalmodié") pendant ces processions de la fête des Tentes, rameaux en main. Et vous y avez reconnu le "Béni soit celui qui vient, au nom du Seigneur !" (Hosanna !) que crie la foule en accueillant Jésus (peut-être y avez-vous relevé également l’histoire de la pierre angulaire, que Jésus citera quelques versets plus loin).
Mais ce n’est pas tout : il y a une autre coïncidence. Vous savez sans doute que c’est Salomon (on y revient) qui fit construire le premier temple de Jérusalem. Et bien c’est justement au cours de cette “fête des Tentes” que Salomon l’inaugura, en faisant entrer dans le temple, toujours en procession, la fameuse “arche de l’alliance”, celle que le peuple hébreu avait transportée dans le désert, et qui contenait les fameuses “tables de la Loi” qui scellaient l’alliance entre Dieu et son peuple. D’ailleurs, la fête des Tentes est en rapport direct avec l’Exode. En hébreu, on l’appelle la fête des Soukkôth. La soukkah (soukkôth au pluriel) n’est pas exactement une “tente” mais plutôt une cabane ou une hutte faite de branchages. Cette fête évoque les 40 ans d’errance dans le désert du Sinaï, où les Hébreux n’avaient que des tentes ou des huttes pour se protéger du soleil. En mémoire de ce temps héroïque, les juifs vont vivre pendant une semaine dans dessoukkôth qu’ils auront construit eux-mêmes aux alentours de Jérusalem. Aujourd’hui encore, cette fête symbolise le “renouvellement de l’alliance”.
Bref, résumons ce que nous avons découvert :
- Jésus est monté sur un ânon, comme le roi Salomon lors de son intronisation.
- Son accueil par la foule branchages à la main ressemble fort aux cérémonies de la fête des Tentes, considérée comme la fête du “renouvellement” de l’alliance. Et Jésus y joue le rôle de la source “royale” de Guihôn, qui est menée en procession jusqu’au temple pour la purification.
- C’est justement dans ce contexte de la fête des Tentes que Salomon inaugura le premier Temple de Jérusalem."
http://erys.pagesperso-orange.fr/PREDICATION%20DU%204%20AVRIL%202004.html
Les rameaux annoncent donc la nouvelle tente que Dieu va établir : non pas une hutte de branchages faite de main d'homme, pas même un nouveau Temple de pierres à Jérusalem, mais le corps même de Jésus transfiguré à travers la mort.
Brandir nos palmes en chantant Hosanna !, c'est donc reconnaître en Christ la vraie source de vie et de purification. C'est saluer en lui le Temple vivant de la présence de Dieu. C'est désirer que nos propres corps en communiant à lui dans l'eucharistie deviennent en lui des temples vivants de cette présence pour nos frères.
5. Un signe de fécondité
Les autres usages bibliques du mot branches (κλάδους = kladous, en grec) utilisé ici pour désigner les rameaux nous mettent sur la voie de la fécondité.
Car ce mot branches est également utilisé par les évangélistes pour désigner le grand arbre et ses branchages finalement sortis de la minuscule graine de sénevé :
Et il disait: "Comment allons-nous comparer le Royaume de Dieu ? Ou par quelle parabole allons-nous le figurer? C'est comme un grain de sénevé qui, lorsqu'on le sème sur la terre, est la plus petite de toutes les graines qui sont sur la terre; mais une fois semé, il monte et devient la plus grande de toutes les plantes potagères, et il pousse de grandes branches, au point que les oiseaux du ciel peuvent s'abriter sous son ombre." (Mc 4,32 ; Mt 13,13 ; Lc 13,19).
Cette disproportion entre la petite cause et les grands effets s'applique à la Passion du Christ : une injustice ordinaire (hélas !), invisible dans l'histoire de l'époque, se déroulant dans une obscure contrée toute petite, se révélera finalement le salut de toute l'humanité. Cet effet papillon de la foi se réfugie dans nos rameaux, va se cacher dans la petitesse de la branche coupée, pour resurgir à Pâques en toute majesté.
Rien ne sera perdu de nos amours les plus vrais : leur fécondité abritera même les oiseaux du ciel !
6. L'olivier greffé
Les seuls autres usages du mot branches de notre évangile des rameaux se retrouvent chez Paul. Et précisément 6 usages dans le chapitre 11 de la lettre aux Romains. Il s'agit du passage consacré au mystère d'Israël, toujours vivant au milieu de nous. Paul le compare à l'olivier racine, sur lequel a été greffé l'olivier sauvage des païens :
« Mais si quelques-unes des branches ont été coupées tandis que toi, sauvageon d'olivier tu as été greffé parmi elles pour bénéficier avec elles de la sève de l'olivier, ne va pas te glorifier aux dépens des branches. » (Rm 11,17-18)
Nous sommes ces païens qui, grâce à Jésus de Nazareth, ont été incorporés à l’Israël de Dieu. Cette greffe réussie, où l'Église vient accomplir la synagogue sans l'abolir, nous oblige à ne jamais oublier nos racines juives.
Brandir un rameau en chantant Hosanna ! nous enracine dans la tradition juive qui a élevé Jésus à l'âge adulte, qui lui a donné son identité, sa profondeur, et l’a ensuite offert à toutes les nations.
Cueillir des branches d'olivier pour le dimanche des rameaux a ainsi tout son sens : nous sommes cet olivier sauvage greffé sur le bois de la croix, pour devenir avec le Christ un seul peuple, une seule famille de Dieu par tout l'univers.
Pas besoin de savoir tout cela pour fêter le dimanche des rameaux de tout son coeur ! Il suffit de chanter à tue-tête (même en chantant faux), d'agiter ses branchages, et de les rapporter précieusement à la maison pour en décorer nos crucifix.
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Date de dernière mise à jour : 11/10/2014